Dans une récente interview, Laurent Dejoie, vice-président de la Région Pays de la Loire et président de l’ANF (Association du notariat francophone), aborde la question préoccupante des « enfants fantômes » et partage son engagement envers cette problématique croissante. Le point sur le sujet avec Frédéric Ducourau.
Qu’est-ce qu’un enfant fantôme ?
Dans de nombreuses régions du monde, il existe des enfants qui ne sont pas enregistrés auprès des autorités civiles de leur pays lors de leur naissance, les privant ainsi d’une existence légale. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis, on estime que près d’un milliard de personnes dans le monde vivent sans identité officielle. Cette situation préoccupante est particulièrement répandue en Afrique de l’Ouest et de l’Est. En Inde, des efforts sont déployés pour remédier à ce problème grâce à un recensement massif qui attribue un numéro d’identification à chaque individu. En Chine, les « enfants fantômes » sont ceux qui n’ont pas été autorisés à naître en raison de la politique de l’enfant unique. Enfin, aux marges de l’Europe, ce sont principalement les communautés roms qui sont touchées par ce phénomène, en raison de leur pauvreté et des obstacles traditionnels qui leur sont imposés.
Quelles sont les causes d’un tel phénomène ?
Les enfants fantômes sont le résultat de diverses causes, à la fois collectives et individuelles. Dans les pays dit sous-développés, pauvres ou en proie à des conflits civils, la question des enfants sans identité est souvent reléguée au second plan. D’autre part, l’accès des citoyens aux administrations peut être complexe et coûteux dans certains pays, ce qui constitue un obstacle supplémentaire à l’enregistrement des naissances. Des obstacles culturels, religieux et sociétaux entrent également en jeu, comme dans certains villages africains éloignés, où la simple mention du chef du village suffit à légitimer la naissance d’un enfant.
Quel rôle l’état civil doit-il jouer pour endiguer ce problème sociétal ?
L’état civil joue un rôle crucial à la fois sur le plan collectif et individuel. Collectivement, il garantit l’identité universelle d’un individu et assure son existence juridique dans l’intérêt général. Individuellement, il est reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et permet l’émission d’un acte de naissance ainsi que la délivrance de pièces d’identité. Sans état civil, il est impossible de faire valoir ses droits fondamentaux et de se défendre légalement. Les conséquences de l’inexistence juridique sont dramatiques, allant du travail des mineurs aux mariages forcés, en passant par les trafics mafieux, sexuels ou militaires. De plus, l’absence d’état civil empêche les États de mener des recensements, de dresser des pyramides des âges et d’évaluer efficacement leurs politiques publiques.
Qu’a permis l’action du notariat sur le sujet ?
Des initiatives prometteuses émergent pour lutter contre le phénomène des enfants sans état civil. Une résolution encourage les États francophones à mettre en place un système d’état civil accessible et gratuit. Parallèlement, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) déploie des actions concrètes, telles qu’une opération de régulation au Niger. Ces exemples illustrent les deux grandes approches pour résoudre ce problème. D’une part, il s’agit d’une responsabilité régalienne des États, qui doivent se doter d’outils technologiques pour enregistrer les naissances de manière efficace. D’autre part, il existe des procédures juridiques de jugement supplétif dans tous les pays, remplaçant l’acte de naissance et impliquant divers professionnels. Dans ce contexte, les notaires jouent un rôle crucial en rassemblant les efforts et en facilitant la logistique nécessaire.